Note sur l’analyse du cycle de vie des matériaux biosourcés

Les matériaux biosourcés sont souvent mis en avant dans les politiques publiques (future règlementation environnementale des bâtiments, label bâtiment biosourcé, plan de relance) avec différents arguments.

On peut ainsi lire sur le site du ministère de la transition écologique que « ces matériaux répondent aux enjeux du développement durable : empreinte environnementale favorable, car stockant le carbone ». Mais la même quantité de carbone stockée dans du bois de construction ne l’aurait-elle pas été tout autant en forêt si l’arbre n’avait pas été coupé ? Et comment les procédés de fin de vie (incinération, recyclage…) influencent-ils ce bilan carbone ?

On peut également apprendre que « Grâce à leur déphasage thermique et à leurs propriétés respirantes, les matériaux biosourcés et géosourcés présentent des performances reconnues tant sur le plan de l’isolation thermique que sur celui du confort hygrométrique. ». Mais jusqu’à quel point le « déphasage » d’un isolant est-il suffisant pour obtenir un confort satisfaisant, faut-il prévoir également des matériaux constituant une inertie thermique plus importante ?

Toutefois, concevoir à moindre coût un bâtiment performant en termes de bilan environnemental et de confort relève d’une autre démarche. Celle-ci s’appuie sur les outils d’écoconception, en particulier la simulation thermique dynamique et l’analyse de cycle de vie. Ces outils permettent d’étudier une intégration optimisée des matériaux biosourcés, en fonction du climat et de l’usage des locaux, et d’évaluer leur intérêt environnemental sur une base quantifiée.

 

Le stockage de carbone

Par rapport au carbone fossile présent dans le charbon, le gaz ou le pétrole, les émissions de carbone biogénique (positives ou négatives) sont celles qui proviennent de sources biologiques telles que les plantes, les arbres et le sol. Une émission négative se produit par exemple lors de la photosynthèse, puisque du CO2 atmosphérique est absorbé pour produire des produits ligneux comme la cellulose. Selon la base de données ecoinvent, le contenu carbone du bois est de 0,494 kg de carbone par kg de bois sec (Werner, 2007), ce qui correspond à environ 1,5 kg d’équivalent CO2 par kg de bois à 20 % d’humidité.

Une norme européenne[1] définit un ensemble de règles pour appliquer l’analyse de cycle de vie aux produits de construction. Dans la première version de cette norme (2012), le carbone biogénique absorbé lors de la croissance du bois était supposé tôt ou tard réémis vers l’atmosphère, donc un bilan nul était considéré. Cette approche est dénommée dans la littérature « 0/0 » car elle comptabilise 0 émission au début et à la fin du cycle de vie.

Dans le cadre du réseau thématique européen PRESCO (Practical recommendations for sustainable construction), sept outils d’ACV européens ont été appliqués à une maison à ossature bois (Peuportier et al., 2004). Certains outils ont utilisé la méthode 0/0, tandis que d’autres, dont l’outil français EQUER, ont comptabilisé des émissions négatives lors de la production du bois et positives en fin de vie, un procédé d’incinération ayant été considéré. La quantité de CO2 équivalent (incluant l’ensemble des gaz à effet de serre) émise à l’incinération correspond environ au contenu en carbone du bois. Cette deuxième approche est alors dénommée (-1/+1). La méthode 0/0 a été critiquée par Rabl (2007). La norme européenne a finalement adopté la méthode -1/+1 en 2019. Ceci étant, la méthode -1/+1 conduit à un bilan globalement nul, comme la méthode 0/0. Pour valoriser le stockage de carbone sur la durée de vie du bâtiment, certains experts ont proposé une « ACV dynamique simplifiée » (cf. la note du lab sur ce sujet), qui consiste à réduire la valeur d’une émission en équivalent CO2 si cette émission a lieu dans le futur. Par exemple si le bois est incinéré au bout de 50 ans, alors le bilan CO2 de l’incinération est multiplié par 0.578. Le bilan net du bois est alors (-1/+0.578), ce qui est plus favorable au bois.

Le modèle EQUER propose une autre manière d’évaluer le bilan carbone du bois. D’une part la valeur considérée à la production n’est pas forcément -1. Il faut pour cela qu’un nouvel arbre pousse, du CO2 est alors absorbé durant plusieurs dizaines d’année en fonction des essences. En effet, le CO2 stocké dans le bâtiment l’aurait été tout autant en forêt donc il n’y a pas lieu de comptabiliser ce stockage (et encore moins de considérer qu’il a lieu au tout début du cycle de vie). Par contre, il faut tenir compte du CO2 absorbé par le nouvel arbre au cours de sa croissance dans le cas d’une forêt certifiée (donc gérée durablement).

Plusieurs possibilités existent en fin de vie qui, il faut l’espérer, aura lieu bien après les 50 ans considérés dans la méthode réglementaire. Nombreux sont les bâtiments en bois qui, bien entretenus, durent depuis plusieurs centaines d’années. L’incinération n’est heureusement qu’une des options, et il est permis d’espérer que si elle est encore autorisée dans 50 ans, elle donne lieu à une valorisation énergétique. Le recyclage, le réemploi ou la réutilisation sont des alternatives à étudier. La mise en décharge retarde les émissions à une échéance très lointaine selon Levasseur (2013). Le modèle peut être synthétisé dans la figure ci-dessous.

 

Bilan en carbone biogénique sur le cycle de vie du bois
Figure 1 : Bilan en carbone biogénique sur le cycle de vie du bois

 

Cette méthode conduit à des résultats proches de ceux obtenus par le modèle temporel de Levasseur (2013) en considérant un horizon de temps long. Elle valorise la bonne gestion des matériaux biosourcés sans nécessiter un artifice de calcul. Gérer durablement les forêts, faire en sorte que le bois soit recyclable ou réutilisable en fin de vie, et renforcer ces filières de valorisation matière semble plus responsable que de modifier les méthodes de calcul en introduisant des biais explicités dans la note sur l’ACV dynamique, en particulier une moindre valorisation de l’efficacité énergétique ce qui risque d’annihiler le bénéfice des matériaux biosourcés.

La même méthode peut s’appliquer aux autres matériaux biosourcés, par exemple les isolants (paille, chanvre…).

Le dérèglement climatique n’est qu’un des aspects de la problématique environnementale. L’ACV est un outil multicritère, et ne doit pas se limiter à un bilan carbone. L’un des grands avantages des matériaux biosourcés est lié à la préservation des ressources. Leur bilan en termes de santé et de biodiversité est plus mitigé et dépend grandement des pratiques mises en œuvre. La plantation intensive, en monoculture régulière, est très défavorable à la biodiversité par rapport à une sylviculture irrégulière, d’où l’intérêt de la certification des forêts. L’incinération, et l’usage du bois énergie, émettent des polluants toxiques. Il serait utile de progresser vers une méthodologie d’évaluation tenant compte de ces impacts et différenciant les pratiques plus ou moins vertueuses (certifications, essences utilisées, labels, etc.).

Peut-on considérer que retarder les émissions est toujours bénéfique, et adopter la même réduction des impacts en fonction de la date d’émission que celle proposée dans l’ACV « dynamique simplifiée » ? Cela revient à dire qu’il vaut mieux faire perdre des années de vie aux générations futures qu’à la génération présente. Réduire les impacts de l’incinération sous prétexte qu’elle aura lieu dans un futur éloigné profiterait davantage aux plastiques qu’aux matériaux biosourcés.

Isolation, inertie thermique et résilience face aux canicules

Le changement climatique se manifeste par des canicules de plus en plus fréquentes et sévères. Il convient alors de rechercher des solutions résilientes. Certains fabricants mettent en avant le « déphasage », paramètre sensé indiquer combien de temps après un pic de chaleur en journée, la face interne de l’isolant atteint sa température maximale. Mais le confort thermique n’est pas uniquement lié aux transferts de chaleur par les parois opaques. Il faut aussi tenir compte des apports solaires par les vitrages, que l’on cherche à réduire par des stores et autres occultations, des apports internes liés aux occupants et à leurs consommations (appareils électroménagers, télévision, ordinateur…), et de la ventilation. L’un des moyens de limiter les surchauffes est de sur-ventiler la nuit ; l’inertie thermique du bâtiment permet de maintenir une certaine fraîcheur dans la durée.

La simulation thermique dynamique permet de comparer différentes compositions de parois et différents isolants. La figure ci-dessous montre le profil de température obtenu par simulation dans une maison passive (c’est-à-dire à très basse consommation) en considérant les données climatiques correspondant à la canicule de 2003 en Ile-de-France. La figure correspond à la deuxième semaine de canicule. Elle montre l’évolution de la température « opérative », qui intègre à la fois la température d’air et la moyenne des surfaces des parois afin d’évaluer plus précisément le niveau de confort thermique qu’une température d’air.

Dans un premier temps, une variante exclusivement en bois a été considérée (planchers, murs, cloisons et plafonds). La courbe rouge correspond à une isolation en laine de verre, la courbe verte à une isolation en laine de bois (plus lourde, avec un déphasage supérieur), et la courbe grise (resp. bleue) à une isolation en laine de verre (resp. de bois) et en ajoutant 5 cm de terre crue à l’intérieur. L’épaisseur de laine de bois a été ajustée afin d’obtenir la même résistance thermique que la variante en laine de verre.

 

ACV Et Biosourcés Fig 2
Figure 2 : Résultats de simulation thermique dynamique (Pleiades), maison passive sur une semaine de canicule, comparaison de variantes à faible inertie thermique

 

Le choix d’un isolant à déphasage supérieur ne suffit pas à assurer un niveau de confort satisfaisant. L’ajout de terre crue s’avère plus efficace. Associer la laine de bois et la terre crue est encore plus performant.

Considérons maintenant une construction à forte inertie (des planchers et murs en béton sont considérés ici, mais les murs pourraient aussi être en pierre). La courbe rouge correspond à la même variante initiale en bois, la courbe verte à la variante en béton isolée en laine de verre, respectivement en laine de bois pour la courbe bleue. La courbe grise est obtenue en remplaçant le béton par une même épaisseur de terre crue dans les murs.

 

ACV Et Biosourcés Fig 3
Figure 3 : Résultats de simulation thermique dynamique (Pleiades), maison passive sur une semaine de canicule, comparaison de variantes à inertie thermique forte et faible

 

La forte inertie thermique réduit la surchauffe de manière très significative, alors que le changement d’isolant n’a que très peu d’effet dans le cas d’un bâtiment inerte. La température de 28°C atteinte après 14 jours de canicule est nettement plus supportable que les 32°C obtenus avec la variante biosourcée à faible inertie. La terre crue est un peu moins efficace que le béton du fait d’une conductivité plus faible, mais les niveaux de température sont semblables. Contrairement à une idée répandue, la forte inertie n’empêche pas la température opérative de redescendre la nuit. Ceci est lié à la ventilation naturelle, qui permet de rafraîchir les locaux même si la température extérieure reste relativement élevée (minimale nocturne entre 20 et 24°C dans la semaine considérée).

Pour obtenir un niveau d’inertie thermique suffisant, des produits sont proposés dans lesquels des matériaux biosourcés sont intégrés à du béton ou à de la terre. La figure suivante montre les résultats obtenus avec du béton de chanvre (courbe verte), du béton de bois (courbe bleue) par rapport aux variantes en bois (courbe rouge) et en béton (courbe grise). Des planchers (bas et intermédiaire) en béton sont considérés sauf dans le cas de la variante bois.

 

ACV Et Biosourcés Fig 4 Béton Biosourcé
Figure 4 : Résultats de simulation thermique dynamique (Pleiades), maison passive sur une semaine de canicule, comparaison de bétons biosourcés au bois et au béton lourd

 

Les bétons biosourcés réduisent les surchauffes de manière plus significative que l’isolant à déphasage plus important, mais leur masse volumique et leur conductivité thermique sont moins élevées que celles du béton ou de la pierre, ce qui réduit leur capacité à stocker la chaleur lors des pics de température. La température maximale est alors plus élevée que celle de la variante béton. Pour obtenir une meilleure performance en termes de résilience (et similairement de stockage des apports solaires en hiver), il est préférable de séparer les couches de matériaux isolants et de matériaux inertes (à placer du côté intérieur par rapport à l’isolant) comme le montre la courbe grise de la figure 2 correspondant à une isolation en laine de bois à l’extérieur d’une épaisseur de terre crue.

Dans les résultats précédents, les transferts d’humidité dans les matériaux n’ont pas été pris en compte. Selon Guiavarch (2010 ; 2014), ces transferts modifient peu les évolutions de température (différence inférieure à 0.5 K entre la simulation avec et sans modèle hygroscopique). Des résultats similaires ont été obtenus par Qin (2011). Des travaux se poursuivent pour mieux comprendre les phénomènes physiques liés aux transferts hygrothermiques (Busser, 2018). Il est cependant peu probable qu’un isolant de déphasage plus élevé suffise à assurer un niveau de confort satisfaisant. La surchauffe en été conduira alors vraisemblablement les occupants à acquérir un climatiseur.

L’inertie thermique influence également le dimensionnement des équipements de chauffage et de climatisation. Dans l’exemple précédent, les besoins de chauffage et la puissance maximale appelée pour le chauffage sont 25 % plus élevés avec la variante bois (y compris les planchers), qu’avec les variantes plus inertes en terre et en béton, en considérant un chauffage à une température constante de 19°C. En fonction du climat et de l’usage du bâtiment, le choix des matériaux influence non seulement les consommations mais aussi les impacts correspondant à la fabrication des équipements.

L’usage de la simulation thermo-aéraulique dynamique permet d’étudier, en fonction du site et de l’usage des locaux, les niveaux d’isolation et d’inertie appropriés, ainsi que les dispositifs permettant la ventilation naturelle et la protection solaire améliorant la résilience d’un bâtiment. L’usage de l’analyse de cycle de vie permet de comparer différents matériaux assurant ces fonctions d’isolation et d’inertie, en intégrant leurs effets sur les consommations énergétiques.

La figure ci-dessous montre la comparaison en ACV de trois variantes de la même maison passive correspondant à la même unité fonctionnelle (incluant un niveau de confort satisfaisant) : la variante en béton et laine de verre (référence), la variante biosourcée légère en bois issu de forêt certifiée et laine de bois (mais avec une climatisation à 27°C), et la variante biosourcée lourde (bois et laine de bois complété par la terre crue et les planchers béton). Une durée de vie de 100 ans est considérée. Dans cette comparaison, le bois est supposé incinéré en fin de vie avec valorisation énergétique, la laine de bois et la laine de verre sont mises en décharge, le béton est recyclé (concassé) et l’impact de fin de vie de la terre crue est considéré comme négligeable.

ACV Et Biosourcés Fig 5
Figure 5 : Comparaison des impacts environnementaux générés sur 100 ans (maison passive)

 

Les variantes biosourcées réduisent l’impact sur le climat mais augmentent l’occupation des sols sans variation importante sur les autres indicateurs (les forêts étant supposées certifiées). La variante biosourcée à forte inertie se situe entre les deux autres, mais ne nécessite pas de climatisation contrairement à la variante biosourcée légère. L’usage de bois recyclés, réutilisés ou réemployés permettrait de diminuer la pression sur l’occupation des sols.

 

Intégration dans un projet urbain

L’intégration de matériaux biosourcés peut concerner également les espaces extérieurs (mobilier urbain par exemple). Elle peut être complétée par la végétalisation de ces espaces, ce qui peut contribuer à réduire les surchauffes.

La figure suivante montre les résultats d’un outil de simulation des microclimats (Yang, 2012) concernant la comparaison entre différents niveaux de végétalisation d’un projet urbain en Ile-de-France, en considérant une projection climatique en 2050. À cette échelle également, il convient de prendre en compte les interactions entre plusieurs paramètres : les caractéristiques de la végétation, des bâtiments et du sol, mais aussi les écoulements d’air, ainsi que les transferts de chaleur et de masse entre ces différents éléments.

 

ACV Et Biosourcés Fig 6
Figure 6 : Diminution de température obtenue par une plus forte végétalisation d’un projet urbain, évaluée par un modèle de microclimat (ENVI-met).

 

Dans cet exemple, la végétalisation a permis de réduire localement la température d’environ 1°C lors d’une journée type à 13h. Des détails sont donnés au chapitre 15 de l’ouvrage collectif du lab (Simon H. et Bruse M., 2019).

 

Conclusions

La complexité des bâtiments, et a fortiori des projets urbains, rend l’usage d’outils systémiques comme l’analyse de cycle de vie particulièrement approprié à l’écoconception. Le choix d’un matériau ne devrait pas se faire sur la seule base d’un bilan carbone, en ignorant les effets sur les consommations énergétiques, le confort, et les impacts environnementaux en termes de santé, de biodiversité et de ressources. L’écoconception consiste plutôt à comparer différentes solutions en intégrant des critères appropriés au site et à l’usage du projet étudié. Intégrés à bon escient, les matériaux biosourcés font partie des moyens pour atteindre des objectifs de performance environnementale, à expliciter dans les programmes d’aménagement.

 

[1] Norme EN 15804, Contribution des ouvrages de construction au développement durable – Déclarations environnementales sur les produits – Règles régissant les catégories de produits de construction

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Chercheur
Bruno Peuportier
Directeur de recherche
MINES ParisTech
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