27 septembre 2024

Les technosols construits : une solution pour préserver les ressources naturelles et renaturer les villes

Si le sujet est encore récent dans le secteur de la construction, les technosols ou sols construits font l’objet de recherches académiques depuis une quinzaine d’années.

C’est notamment le cas de Sophie Joimel, enseignante-chercheuse à AgroParisTech, qui poursuit des recherches sur le sujet dans le cadre de notre programme “Inscrire les villes dans les limites planétaires”. Parmi les entreprises qui s’intéressent également au sujet, VINCI Construction expérimente depuis presque deux ans un démonstrateur de technosols en Ile-de-France. Les travaux respectifs de la chercheuse et de VINCI Construction montrent qu’il s’agit d’un sujet d’avenir, qui répond à la fois à un impératif d’économie de ressources, tout en permettant de répondre à une demande grandissante de renaturation d’espaces urbains.

 

Recréer des sols urbains fertiles : un enjeu environnemental fort

La tendance actuelle, partagée par les décideurs, les urbanistes et les citadins eux-mêmes, est au retour de la nature en ville. Cela nécessite d’avoir un sol fertile et fonctionnel, capable d’accueillir différentes strates de végétation, de leur permettre de se développer mais aussi de stocker, d’infiltrer et de redistribuer les eaux pluviales, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas de la majorité des sols urbains.

Désimperméabiliser ces sols puis importer au cœur des villes des terres fertiles provenant d’espaces naturels ou agricoles, est la méthode la plus couramment utilisée pour renouer avec le végétal en ville. Or, avec l’adoption de la loi Climat & Résilience de 2021, qui introduit un objectif 2050 de zéro artificialisation nette” (ZAN) , la recréation de sols urbains vivants ne pourra bientôt plus se faire à l’aide d’amendement en terres végétales provenant de sols agricoles, naturels ou forestiers.

 

“Il faut jusqu’à 1000 ans pour construire un centimètre de sol naturel. C’est une ressource non renouvelable” indique Sophie Joimel.

“Notre optique et celle des industriels qui se sont lancés dans la construction de sols fertiles est de ne plus recourir à des terres végétales mais d’utiliser des matériaux renouvelables tout en valorisant de la matière qui était auparavant mise en déchetterie : de la matière organique, des matières secondaires issues de bâtiments et ainsi obtenir un meilleur bilan environnemental tout en végétalisant les villes” explique la chercheuse.

 

Des sols construits en fonction de leurs usages

“La conception d’un sol est réfléchie en fonction de son usage et de ses usagers. La composition ne sera pas la même s’il s’agit d’une cour d’école végétalisée, d’un espace dédié à l’agriculture urbaine, d’un parc, d’une toiture végétalisée, d’arbres d’alignement, d’une voie de mobilité douce… précise la chercheuse.

 

Dans le cadre de ses recherches plus spécifiquement dédiées à l’agriculture urbaine, Sophie Joimel teste plusieurs compositions de sols à base de différents matériaux comme de la brique concassée, des terres excavées, du béton cellulaire… auxquels est ajoutée de la matière organique, ressource trouvée à proximité (compost de déchets verts, biodéchets, marc de café, drêche de bière, bois broyé…).

Ses expérimentations se font en extérieur, en conditions semi-contrôlées et dépendent ainsi des aléas climatiques. Différentes profondeurs, nombres d’horizons de sols, compositions en couches ou en mélanges sont testés. Des analyses sont ensuite réalisées en laboratoire pour évaluer l’écotoxicité des sols, le vieillissement des matériaux et vérifier la présence d’organismes vivants indispensables au recyclage de la matière organique et à la structuration des sols.

 

“Les caractéristiques que nous recherchons en priorité par rapport aux technosols sont la faible contamination de la matière première, l’apport suffisant en matières organiques, un pH basique (autour de 7), un rapport carbone/azote aux alentours de 10 et la présence d’éléments nutritifs comme le phosphore, le potassium, le calcium.” souligne la chercheuse.

“Il faut savoir qu’un apport de compost supérieur à 30% n’est pas nécessaire et peut potentiellement entraîner un risque de dégradation de la qualité de l’eau” précise-t-elle.

 

Un démonstrateur de technosols construits en Île-de-France

Cette logique d’économie circulaire et de préservation des ressources naturelles est également au cœur des expérimentations menées sur la plateforme de valorisation de matériaux DLB Valomat à Précy sur Marne par VINCI Construction.

Ce démonstrateur, mis en place en Ile-de-France il y a presque deux ans, a pour objectif de rendre opérationnelles et accessibles les expérimentations sur les technosols aux métiers de la construction et de la valorisation des matériaux.

Douze compositions de sols y ont été formulées en faisant varier différents paramètres, en fonction de leur usage, notamment en lien avec la gestion de l’eau :

  • jardin de pluie,
  • jardin en creux,
  • jardin en buttes,
  • mélanges terre-pierre pour parking désimperméabilisé ou voie de circulation verte.

Chaque composition présente un horizon de croissance (à la surface) et un horizon de développement (en profondeur) et utilise des matériaux issus de la déconstruction de chantiers à proximité (terre excavée de chantiers parisiens, déblais de chantiers, sablons d’excavation, ballast de récupération SNCF), qui sont ensuite amendés par incorporation de compost de type 4 élaboré à base de déchets verts provenant d’un site à proximité.

Le bureau d’études en ingénierie du sol et du paysage SOL Paysage qui a accompagné cette démarche depuis ses débuts, notamment pour le choix de la végétation en surface, vient de réaliser une première évaluation concluante : sur les 12 compositions de sols formulées, les arbres se développent comme souhaité, sans facteur limitant.

 

“A partir des caractéristiques physico-chimiques et pédologiques des sols, on peut désormais proposer un produit qui répond au besoin du client et qui est en parfaite adéquation avec son usage” souligne Olivier Waterblez, responsable d’antennes matériaux et industries chez VINCI Construction.

“A terme, il serait envisageable de transposer cette expérimentation dans d’autres  régions, en créant des démonstrateurs intégrant les spécificités et matériaux locaux, ou directement sur les chantiers en fonction de leur configuration, en réutilisant in situ les terres excavées, et en y ajoutant des intrants complémentaires comme du ballast ou du compost” précisent Romain Lafon, chargé d’affaires au centre de recherche de Mérignac et Nicolas Hiroux, ingénieur technique à la direction technique de VINCI Construction.

Avec ces premiers retours d’expérimentation à la fois scientifiques et techniques, on peut penser que le sujet des sols construits et de la refonctionnalisation des sols urbains devienne au cours des prochaines années, de plus en plus présent dans les programmes de recherche et les projets d’aménagements et de végétalisation des villes. Cela permettra de construire de plus en plus de connaissances sur la question pour répondre à la demande grandissante de végétalisation des villes tout en accompagnant les mesures gouvernementales de Zéro Artificialisation Nette.

 


Technosols, sols construits, sols reconstitués ou reconstruits : de quoi parle-t-on exactement ?

Explication par Sophie Joimel, enseignante-chercheuse à AgroParisTech.

 

Les technosols : ce sont des sols comprenant au moins 20 % d’artefacts, c’est à dire d’éléments anthropogéniques (modifiés par l’homme à travers ses activités comme la construction, l’excavation, le remblayage, le dépôt de matériaux, la pollution…). Ils ne sont pas forcément construits de manière volontaire. Par exemple les bassins de décantation de boue. Il n’y a pas de volonté de les construire mais ce sont bien des sols modifiés par l’homme, soit des technosols.

Les sols construits : on retrouve dans ce terme et dans les travaux que je mène au lab recherche environnement une volonté de construire un sol en s’inspirant des sols naturels, d’avoir une réflexion pour avoir un sol durable. Par extension, on peut aussi parler de technosols construits.

Les sols reconstitués : ce type de construction de sols correspond à des pratiques plus anciennes qui consistaient à ajouter un substrat dans le sol, sans véritable volonté de s’inspirer ou de mimer le fonctionnement écosystémique naturel des sols.

Sols reconstruits : on parle généralement de reconstruction de sols dans les projets de réhabilitation de certains sites, mais en fait il s’agit bien de sols construits.

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