La logistique urbaine s’invite dans les modèles prédictifs de mobilité

Les chercheurs du lab recherche environnement développent des modèles numériques puissants pour simuler de manière réaliste les systèmes complexes de transport au sein des grandes métropoles. L’intégration progressive des problématiques de fret devrait permettre de les consolider. Ces modèles pourraient alors constituer de précieux outils d’aide à la décision au service de politiques publiques efficaces et écologiquement responsables.

L’explosion du e-commerce dans les années 2010, dont la dynamique a été renforcée par les épisodes de confinement liés à la récente crise sanitaire, a mis sur le devant de la scène les problématiques de logistique urbaine et de transport de marchandises en ville. Camions de livraison, véhicules utilitaires, deux-roues motorisés ou non…les vecteurs de transport de fret se multiplient et transforment tout à la fois la morphologie de la ville – l’essor récent des fameux dark stores en est une illustration – et les conditions de mobilité.
Alors que les décideurs publics sont de plus en plus nombreux à vouloir déployer des politiques de mobilité vertueuses compatibles avec les objectifs nationaux de réduction de gaz à effet de serre, cet état de fait contribue à renforcer la congestion dans les grandes métropoles et ses conséquences environnementales directes – pollution, mauvaise qualité de l’air, accentuation des effets d’îlot de chaleur…
Alors quelles stratégies adopter afin de limiter ces nuisances ? Comment intégrer de manière harmonieuse le transport du fret dans les politiques globales de mobilité ?

Une politique d’offre de mobilité ni optimale, ni durable

Ces questions complexes pourraient bientôt trouver des réponses grâce aux travaux menés au sein du lab recherche environnement (Lab) – le programme de recherches issu du partenariat entre VINCI et trois écoles d’ingénieurs de ParisTech – par les chercheurs du Laboratoire Ville Mobilité Transport (LVMT), une unité mixte de recherche entre l’École des Ponts ParisTech et l’Université Gustave Eiffel. « Les politiques de mobilités ont jusqu’à récemment été fondées sur une approche orientée vers l’offre de transport, constate Nicolas Coulombel, chercheur au LVMT et pilote du Lab côté école des Ponts. Pour faire simple, dans ce système, on augmente la capacité des infrastructures de mobilité – routes, autoroutes, voies pour TCSP – pour absorber l’augmentation de la demande. Mais cette réponse n’est ni optimale, ni durable. En matière de mobilité, l’offre créé en effet souvent la demande :  en augmentant la capacité d’une route, on incite par exemple les usagers à prendre ou à reprendre leurs voitures qu’ils avaient délaissées ».

Pour comprendre la demande de mobilité des usagers…

L’amélioration du système implique de se tourner vers une politique orientée vers la « demande ». Celle-ci cible l’optimisation des usages à partir d’une offre donnée. Mais cela oblige à bien comprendre le comportement des transports et des usagers, ce qui n’est pas une mince affaire ! « Nous cherchons à développer des modèles qui se rapprochent de la réalité pour pouvoir simuler ces comportements complexes dont les ressorts sont d’ordre économiques, sociologiques ou psychologiques», synthétise Nicolas Coulombel.

…il faut simuler leur comportement !

Pour cela le laboratoire utilise MATSim, un logiciel open source qui met en œuvre des simulations de transport à grande échelle des acteurs du système, dénommés « agents ». « Tous les véhicules et tous les voyageurs sont représentés par des agents, explique Tatiana Seregina, chargée de recherche post-doctorale au laboratoire LVMT. Le modèle prend en compte les programmes d’activités journaliers des personnes et les contraintes des infrastructures et équipements (capacités des voies, horaires d’ouverture des établissements…) ainsi que les interactions entre les agents. Chaque voyageur a un plan d’activités quotidiennes (par exemple, domicile-travail-magasin-domicile) avec des lieux et des heures, et essaie d’exécuter son plan d’activités avec l’utilité la plus élevée. Il dispose du choix du temps, du mode de transport ou de la destination pour optimiser de manière itérative (c’est-à-dire de manière répétée) son programme en concurrence avec tous les autres agents sur les créneaux spatio-temporels relatifs à l’infrastructure de transport ». Et il faut parfois 100 tentatives itératives pour que l’utilisateur identifie les options lui permettant d’atteindre l’équilibre souhaité dans ses déplacements.

Une modélisation réaliste pour prendre des décisions éclairées

« Nous cherchons actuellement à calibrer le modèle pour simuler le système de transport en Ile-de-France de manière réaliste, poursuit Tatiana Seregina. Une fois que nous y serons parvenus, nous pourrons tester différents scénarios. Mais nous avons d’ores et déjà lancé des tests pour prédire l’impact du projet de zone à trafic limité au centre de Paris sur les comportements locaux et globaux des agents ». A terme, l’objectif est donc bien de disposer d’un modèle suffisamment puissant pour qu’il puisse constituer un outil d’aide à la décision fiable, au service de politiques de mobilité efficaces et écologiquement performantes.

L’intégration complexe de la logistique urbaine dans les simulations

Mais quid de la logistique urbaine dans cette proposition ? « Nous sommes en train de l’intégrer dans la modélisation», explique Adrien Beziat, chargé de recherche à l’Université Gustave Eiffel au laboratoire Splott, spécialisé dans le transport et la logistique.

Cela suppose de définir des « agents » dont les attributs suivent les logiques de la mobilité des marchandises. « Celle-ci est très complexe, d’une part car les chaînes de transports logistiques comportent de nombreux acteurs avec des comportements spécifiques qu’il nous faut appréhender, et d’autre part car les prises de décision sont multiparamétriques, dépendant de l’origine et de la destination du trajet, du type de produit transporté, de la capacité du véhicule, de la stratégie de trajectoires des livreurs… ».

Alimenter le modèle avec des solutions déjà opérationnelles

Pour calibrer leurs modèles, les chercheurs du lab recherche environnement pourraient coopérer prochainement avec la société Axians ICT Autriche (VINCI Energies). Forte de vingt ans d’expérience dans les problématiques logistiques, celle-ci a développé addHelix, une plateforme de services web dédiée à la planification d’itinéraires optimaux pour les transports de marchandises. « Conçu avec des outils d’intelligence artificielle, et avec des modélisations fondées sur les réseaux neuronaux, notre outil dispose de la puissance nécessaire pour appréhender la complexité du transport de marchandises, notamment sur des itinéraires multi-étapes et multimodaux », décrit Andreas Schellmann, CEO d’Ibase et Business Unit Manager d’Axians ICT Autriche. Cette optimisation du fret permet de minimiser au final le nombre de kilomètres parcourus et les émissions de GES associées, au plus grand bénéfice des transporteurs et…de la planète !

« Pour accélérer la mise au point de nos modèles de transport logistique, nous pourrions imaginer les alimenter avec les données des simulations opérationnelles d’addHelix », commente Nicolas Coulombel. Cet enrichissement progressif des simulations par des données consolidées permet aux chercheurs du Lab de proposer un modèle multi-agents de plus en plus réaliste et efficace.

 

 

 

 

Pour aller plus loin
Chercheurs
Nicolas Coulombel
Maître de conférences et chercheur
École Nationale des Ponts et Chaussées
LVMT
Tatiana Seregina
Chargée de recherche postdoctorale
École des Ponts ParisTech
LVMT
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